TERRORISME ET FANATISME
Intervention de Pierre FIGUET
Octobre 2002
Classe de Philo de Olivier MARET
Nous vivons dans un monde profondément injuste.
Il y a parfois du mérite, mais aussi de la chance, à être du "bon côté", ce côté
qui ajoute parfois du mépris au sentiment de supériorité.
Mon parcours:
- mes parents pauvres , mais dignes et bienveillants dans mon village d’Arbent
- le lycée Lalande (de la sixième à la terminale comme interne)
- la Résistance (l’engagement, les risques, les valeurs)
- l’arrestation, le travail forcé, la clandestinité dans un camp, l’évasion
- le retour , l’incompréhension
- la reprise des études, leur abandon
- leur reprise, la "carrière"
- le travail, les engagements (sport, culture, citoyenneté)
Notre morale est trop souvent à la remorque de notre situation matérielle
Notre prospérité est assise sur l’exploitation de peuples entiers
Or, aujourd’hui: prise de conscience de ces peuples qui invoquent la justice quand des personnes privées sont plus riches que des États.
L’organisation marchande de la société peut museler des couches entières de population moralement révoltées, qui se réfugient dans des idéologies extrémistes.
C’est le lit du succès des sectes et religions radicales qui fleurissent sur ce terreau d’injustice.
Ainsi, dans un monde qui a les moyens de développer un bonheur matériel, la recherche frénétique de la puissance et de l’argent gâche l’avenir de la planète entière et compromet la survie de sa population.
"Si tu veux éviter la révolution, mon prince, fais la" dit Machiavel.
Mais la révolution à venir ne sera pas la même que celles du passé, même si elle se construit elle aussi sur des cendres.
Les trois mutations – révolutions ( économique – numérique -génétique ) analysées par Guillebaud promettent aux sociétés avancées une évolution qui peut masquer (ou accélérer) le désordre spontané des espoirs en déshérence.
L’inégalité de la fortune est vécue comme une inégalité de dignité, et les hommes devenus moins pauvres et plus cultivés sont encore plus sensibles à cette nouvelle version de leur situation .
La civilisation occidentale n’est plus menacée par une puissance identifiée: c’est en son sein que des tensions se manifestent: dans des alliances contre nature, des mouvements de capitaux incontrôlés devenus incontrôlables, des équilibres planétaires devenus instables, mais aussi des réseaux sectaires à l’affût de clivages mortels.
Jacquard nous dit que c’est son humanité qui a créé l’homme.
Son inhumanité ne peut-elle pas le détruire?
Le siècle passé a été le témoin de l’inhumanité dans sa forme le plus extrême. Nous savons maintenant qu’en chacun de nous cohabitent le BIEN et le MAL.
Mais analysons plus concrètement.
Vichy nous dénonçait comme "terroristes".
Si le terroriste est un poseur de bombes, nous étions parfois des terroristes. Mais ce qui provoquait la terreur des populations, c’étaient les représailles allemandes. Or cette situation n’est pas nouvelle: l’histoire est jalonnée d’atrocités commises par des armées d’occupation des pays dominés: l’Espagne sous Napoléon, les "colonies" hier, et aujourd’hui le Tibet, la Tchétchénie,la Palestine, le Kurdistan …
Certains efforts ont été faits, et des Églises y ont parfois contribué, pour proposer un "code de la guerre", aussitôt copieusement piétiné.
Car c’est bien en référence à une loi morale que les peuples dominants ont si sévèrement réprimé les actes terroristes qui échappaient au contrôle du pouvoir en place.
Le terrorisme d’État serait-il d’une essence supérieur au terrorisme spontané?
Le terrorisme va de la bombinette à vitrification atomique ou Auschwitz.
Mais alors, que reste-t-il comme recours aux révoltés qui invoquent l’article 1er de la DUDH de 1948?
On prête à la République, plus qu’à la simple démocratie, la qualité théorique de faire une place aux minorités dans l’exercice du pouvoir.
Qu’en est-il dans les faits?
Quand le pouvoir ne respecte pas les hommes dans leur dignité, est-il légitime qu’il exige le respect de ses lois?
Je n’ai parlé qu’implicitement du FANATISME.
Il me semble pourtant avoir moi même fait preuve de fanatisme.
J’étais en Haute Silésie, dans un camp où je travaillais 12 heures par nuit , plus deux heurs de trajet à pied. Ceci parfois 7 jours sur 7. La nourriture était celle de tous les camps. Mais: nous n’étions pas maltraités et, au bout de quelques mois, aidés par des bombardements qui suppléaient nos "congés", nous avions atteint un régime de croisière d’une relative stabilité dans le dénuement . Il nous restait à attendre , en nous économisant, la fin de la guerre.
Or, j’ai profité de cet état pour alimenter un projet d’évasion, car je jugeais notre "sécurité" incompatible avec les risques que courraient nos anciens camarades de combat ( ou même ceux qui venaient nous bombarder …).
J’ai fini par me décider à ne plus aller travailler et devenir ainsi clandestin dans le camp: situation très inconfortable, mais surtout extrêmement dangereuse, qui m’a parfois beaucoup inquiété, jusqu’à ce que finalement je m’évade vers l’Est.
Sans que j’en aie tiré une gloire excessive, j’ai cependant éprouvé une certaine fierté de mes décisions et de leur exécution.
Aujourd’hui, j’analyse raisonnablement qu’elles étaient d’une insigne stupidité et la preuve d’un fanatisme obtus.
J’ai engagé ma vie en enfant immature, comme une marchandise dont j’étais le seul maître , sans tenir compte de ce que la société m’avait donné, et, surtout des 20 ans d’affection et d’amour de mes parents …
Le fanatique perd sa liberté de penser. Dans son désir d’absolu, il croit détenir une vérité si parfaite qu’il lui sacrifie son seul bien: son existence. Il est asservi à une idée dont l’évolution s’est arrêtée.
Le fanatique cesse d’être un homme puisqu’il ne pense plus.. Il devient un robot. Il se réfère à des valeurs apprises dont il se refuse à analyser la direction; l’action "terroriste" qu’il met alors en œuvre est dénuée de toute éthique.
Le fameux "serment", si souvent invoqué au Moyen Age, ainsi qu’aujourd’hui dans certains engagements, m’apparaît de la même façon comme une forme résurgente d’escroquerie à la morale. On profite, ou on met en œuvre, des moments d’exaltation pour obtenir une promesse solennelle qui se réfère à la dignité ou au monde du sacré pour immobiliser, dans un cercle fermé, toute tentative de libération.
Le fanatique a perdu sa liberté de penser. Il est un individu aliéné.
A notre insu, nous sommes tous plus ou moins aliénés.
Notre liberté doit se faufiler entre les trois composante interdépendantes que sont: notre raison, notre intuition, et notre environnement. Elle vit de (et dans) cet équilibre mouvant et fonde ainsi notre "humanisme", ce qui fait de nous des hommes soucieux de recherche comme de mouvements.
Il n’y a pas de recette, pas de voie royale, pour construire sa vie et participer à la constante construction de la société et y trouverons compte. Son compte de bonheur, bien entendu. Car le cadre de la vie n’est pas un temple.
Si ardente que soit la lutte, elle doit laisser la place à la joie et à l’amour.