Roger André Pierre Page
né le 29 novembre 1922 à Saint-Sulpice (Ain)
mort le 5 juillet 1944 à Mauthausen (Autriche)
Le parcours de Roger a été reconstitué par Denis Page, son neveu, principalement à partir des archives familiales.
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- Une famille d'enseignants
- A Corgenon en 1940-1941
- Une première arrestation
- Au lycée Lalande
- Se soumettre au STO?
- Au maquis
- L'arrestation. De Montluc à Compiègne
- Le convoi pour Mauthausen
- Les dernières semaines de Roger
- La reconnaissance posthume
- Dernier hommage
Son père, Fernand Page, ancien élève du
lycée Lalande, fait des études de philosophie
Grièvement blessé à la bataille de la Somme
en septembre 1916, il est paraplégique.
Fernand Page, profondément pacifiste,
observe la situation politique
et correspond avec le philosophe
et sociologue Edmond Goblot1.
Sa mère, Marcelle Page, née Pommatau,
est institutrice.
Elle exercera plus de 30 ans
à l'école de Corgenon.
Elle a la charge de son mari
et de ses quatre enfants,
Georges, Roger, Sylvette,
(présents sur la photo)
et Denise.
Dans cette famille d'instituteurs,
obtenir son certificat d'études
et son baccalauréat,
c'est important.
"Madame la directrice" est bien obligée
de sacrifier aux rites du régime de Pétain.
Mais c'est aussi elle, "la maman", qui
ajoute en marge de la lettre de Roger.
quelques recommandations à son fils aîné.
Raymond Sordet, grand ami de Georges, est
déjà gaulliste à 20 ans. Il jouera un rôle
important dans la Résistance, sera arrêté
par la Gestapo et fusillé le 31 mai 1944.
Le 14 juillet 1942 lors d'une manifestation
d'étudiants, Roger est arrêté. Il est passé à
tabac dans les sous-sols de l'hôtel
de l'Europe, puis relâché.
Il intègre le lycée Lalande.
Plusieurs élèves de cette classe
joueront un rôle important
dans la Résistance.
Extrait de "La colère du juteux"
"Ô que regardes-tu flèche de Notre-Dame,
Par-dessus les pignons et les clochers pointus?
Par-dessus les chéneaux que le soleil enflamme,
Par-dessus la cité, dis, que regardes-tu? -
Je vois un feld-juteux enflammé de colère;
Il traverse à grands pas la cour d'honneur sévère.
Ses bottes de cuir noir brillent sous le ciel bleu.
Son nez s'est écrasé sous une pierre énorme!
Son visage est plus vert que son vert uniforme.
À genoux, mes enfants, je vois un feld-juteux.
J'entends des éperons le grand bruit de ferraille
Qui s'en va brusquement réveiller les échos."
Et sentant la terreur les serrer aux entrailles
Ceux qui sont au salon camouflent leurs mégots.
(...)
Les blêmes lycéens aux lourds souliers terreux
Dans un effroi profond se regardaient entre eux,
Et ne comprenant pas les syllabes gothiques
Se montraient du juteux le visage hystérique.
Quand il eut dénoncé les lanceurs de cailloux
Terroristes hideux, sans peur ni repentir,
Quand il eut dénoncé ceux qui marquaient les coups,
Et quand il eut flétri ceux qui réglaient le tir.
Quand il eut menacé de tout assassiner
Et de tout massacrer jusqu'au fond du couloir,
De déporter la ville et de tout emmener,
Et de faire à la fin sauter les urinoirs,
II tourna les talons, le front lourd de menaces
En faisant résonner l'éperon irrité.
Et les Bressans peureux se montraient, sur sa face,
Des signes de malheur pour toute la cité…
Mais en juin 1943 arrive une
convocation du Service du Travail
Obligatoire. Roger doit partir
le 17 juillet pour l'Allemagne
(André est son second prénom).
Pour échapper au STO, Roger hésite à
"faire une cure d'altitude". Parle-t-il de
Champdor où son oncle et sa tante sont
instituteurs? Ou du maquis?
Le 10 août,c'est Georges qui est convoqué.
Ils décident de partir ensemble au maquis,
en passant par Champdor.
Le même jour, le 10 août, leur tante affirme
dans une lettre à sa belle-soeur qu'ils sont partis
pour l'Allemagne. Bien sûr, elle sait que leur
véritable destination est le maquis du Retord.
Le 26 septembre, Georges décrit, dans une lettre
à sa mère et ses soeurs, la vie quotidienne au
maquis. Il n'est pas question du coup de main
sur le chantier de jeunesse d'Artemare, le 10,
pour récupérer des vêtements et chaussures.
Quoi qu'en disent les lettres de Roger et Georges,
les conditions de vie sont rudes dans cette ferme
isolée, en automne à plus de 1100 m d'altitude.
Et le coup de main d'Artemare n'a pas suffi.
Mais la famille peut faire passer des colis.
Du maquis, Roger envoie à sa
famille des nouvelles rassurantes.
Brillant imitateur de Pétain, il a,
ironiquement, choisi Philippe
comme surnom.
Le 24 novembre, Georges écrit qu'il ne se
souvient pas d'un jour plutôt qu'un autre ...
alors que tous deux ont participé au défilé
du 11 novembre 1943 à Oyonnax.
Sans doute, cette version de
"Vous n'aurez pas l'Alsace et la Lorraine"
a-t-elle été chantée à la ferme Morez.
Cette lettre semble décrire un
séjour idyllique à la montagne.
Mais qui fait règner la terreur
à la ville? Et pourquoi ce
déménagement du maquis?
Début février 44, le maquis de la ferme Morez se replie en direction de Billiat et se disperse.
Roger fait partie d'un groupe qui se cache dans une ferme.
Envoyé au ravitaillement, il est pris par les Allemands le 12 février et emmené à la prison de Montluc à Lyon.
Roger est transféré en train
au camp de Compiègne,
un camp de transit et de concentration
administré par les Allemands.
Avec des centaines d'autres hommes 2, Roger est contraint de prendre le train pour Mauthausen.
A Compiègne, dans le train, puis à Mauthausen,
Roger, malade et très faible, semble avoir bénéficié
de la solidarité de ses compagnions.
Son numéro de matricule est 60390.
Parti de Compiègne le 22 mars, Roger arrive à Mauthausen le 25. Mauthausen, c'est un camp de concentration, un camp de mise à mort par le travail.
Roger travaille au camp annexe de Wiener Neudorf du 17 avril au 28 mai. Victime d'une appendicite, il est à l'infirmerie avec Alfred Ravot, soigné par le docteur belge Thomas. Alfred lui annonce le débarquement le 7 juin.
Roger est ramené à Mauthausen
dans un convoi de malades, et
décède d'une péritonite le 5 juillet 1944.
Sur environ 320 000 prisonniers qui furent internés dans le complexe de Mauthausen tout au long de la guerre, seuls 80 000 survécurent.
La famille n'apprendra la mort de Roger
qu'en mai 1945 ... dix mois d'angoisse.
Son décès est confirmé par ce document
officiel daté de juillet 1945.
Après l'arrrestation de son frère à Billiat, Georges
a quitté le maquis pour rejoindre sa mère et ses
deux soeurs.
Il n'en a jamais parlé à ses enfants.
Après la guerre, la famille aura à coeur de faire
les démarches de façon à ce que soient reconnus
officiellement le combat et les souffrances de Roger.
La famille sollicite Pierre Marcault qui a été le chef
de Georges et Roger au camp de la ferme Morez.
Il joua un rôle essentiel lors du coup de main
sur le chantier de jeunesse d'Artemare,
et lors du défilé du 11 novembre 43 à Oyonnax.
Roger pensait sans doute
au Dormeur du val de Rimbaud
lorsqu'il écrivit ce poème.
Qu'il dorme en paix ...
"Les hommes qui font la guerre ne peuvent vouloir la guerre qu'en se trompant ou en étant trompés.
Quand ceux qui font la guerre seront ceux qui décident de la paix et de la guerre, il n'y aura plus de guerre."
Fernand Page
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1 Edmond Goblot (1858-1935), philosophe, logicien et sociologue français, auteur de l'ouvrage La barrière et le niveau. Étude sociologique sur la bourgeoisie française moderne (1925). Membre actif de la Ligue des Droits de l'homme, radical; il a été dreyfusard.
2 Les témoignages du convoi qui conduit Roger à Mauthausen sont tirés du site sur la Mémoire de la Déportation dans l'Ain. Merci de nous avoir autorisés à utiliser ces documents.