Raymond AUBRAC

 

 

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"Où la mémoire s'attarde" - résumé de l'ouvrage (édition poche, Odile Jacob)

Raymond Samuel, qui deviendra, dans la Résistance, Raymond Aubrac, est né le 31 juillet 1914, "jour de l’assassinat de Jean Jaurès, veille de la Grande Guerre", comme il l’écrit dans ses mémoires, parues en  1996, sous le titre de "Où la mémoire s’attarde".
Sa famille, de confession juive, appartient à la bourgeoisie commerçante ; toutefois, il reçoit une éducation laïque.
Il suit sa scolarité au lycée Carnot de Dijon. En 1934, reçu à l’Ecole des Mines de Paris et aux Ponts et Chaussées, il opte pour cette dernière école, tout en s’intéressant parallèlement à des études de droit. Sans adhérer au parti communiste, il est séduit par l’analyse marxiste. Il résume son autoportrait en deux mots : curiosité et disponibilité.
À la sortie de l’école, en 1937, suite à une annonce lue à l’université d’Assas, il constitue un dossier pour obtenir une bourse d’études pour les États-Unis. Sa candidature pour la bourse Victor-Chapman n’est pas retenue, mais, arrivé 2ème, il part grâce à une bourse créée par l’American Field Service, une organisation d’anciens combattants de la Grande Guerre. Il arrive à Boston à la fin de l’été 1937. À Cambridge, il établit un programme composé de 2/3 de génie civil et d’1/3 d’économie, partagé entre MIT et Harvard. A Harvard, il suit les cours de l’économiste Schumpeter.
À son retour, en 1938, il effectue son service militaire à Strasbourg, ville où il retrouve Lucie Bernard, nommée là en tant qu’agrégée d’histoire. Il l’épouse le 14 décembre 1939.
Il est toujours caserné à Strasbourg lorsque les Allemands entrent en France en mai 1940. Il est fait prisonnier mais s’évade, déjà avec la complicité de sa femme.
Le jeune couple s’installe à Lyon où Lucie vient d’être nommée au lycée Edgar Quinet. À Clermont Ferrand, en octobre 1940, Jean Cavaillès (ami de Lucie) organise une rencontre entre Lucie et Emmanuel d’Astier de la Vigerie. Ce dernier est persuadé qu’on ne peut accepter la situation faite à la France et qu’il faut "réveiller l’opinion".
Bien qu’ayant obtenu des visas pour partir aux États-Unis, où Lucie avait obtenu une bourse pour préparer une thèse sur "la colonisation intérieure dans les montagnes Rocheuses", ils décident d’un commun accord de renoncer à leurs visas et de reporter leur séjour, pour participer au noyau de résistance qui s’organisait autour de d’Astier à Lyon.
Le premier Numéro de Libération sort en juillet 1941. Dès l’automne 1941, ils sont en contact avec Londres, par l’intermédiaire d’Yvon Morandat 1 d’abord, puis plus tard de Jean Moulin, dont le rôle allait devenir décisif dans l’unification de la Résistance.
Voilà ce qu’écrit R. Aubrac sur l’engagement en Résistance 2 : "C’était un acte volontaire qui commençait généralement par un geste d’ampleur limitée, qu’il s’agit de l’acceptation d’un journal clandestin, d’un refuge éphémère offert à un voyageur, d’une aide momentanée apportée à un illégal ou à une famille pourchassée. On aurait pu imaginer que cet enrôlement volontaire serait facilement suivi d’un retrait quand apparaîtrait le danger ou quand s’accentuerait la répression. Or, l’expérience nous l’a montré, ceux qui se retiraient du jeu dangereux où ils s’étaient aventurés étaient extrêmement rares. C’est que l’entrée en Résistance, fût-elle marquée par un geste d’apparence anodine, correspondait en vérité à une motivation profonde. Le refus d’un état de choses intolérable, la découverte qu’on pouvait s’y opposer, déclenchaient ce qui m’est apparu très tôt comme le geste essentiel, la première désobéissance à l’ordre imposé.
Cette désobéissance était la première manifestation de la liberté. Mais la désobéissance n’était pas la même pour tous. Les mobiles différaient tout comme les obstacles qui s’opposaient à son expression. […]
Les écueils qui jalonnent l’itinéraire de la désobéissance ne sont pas identiques pour le jeune homme de vingt ans, qui commence sa vie sans responsabilité que lui-même, et pour l’officier supérieur, le haut fonctionnaire, le chef d’entreprise, le chef de famille qui risquent de mettre en péril leur situation, leur fortune, leurs proches.
Tous ceux des mouvements de la Résistance, le nôtre ou les voisins, faisaient partie d’une même famille, celle des désobéissants. Ils étaient tous frères et se ressentaient comme tels."
D’Astier étant absent de Lyon, c’est R. Aubrac qui rencontre le premier, pour le mouvement Libération, Jean Moulin, en janvier 1942. La mission de ce dernier comportait deux volets : organiser, pour la zone Sud, la coordination des mouvements de Résistance auprès desquels il était désigné comme le représentant du général de Gaulle et mettre su pied une "armée secrète" par la fusion des organisations paramilitaires de chaque mouvement 3. Chargé d’organiser la branche militaire de Libération, R. Aubrac contribue à la mise en place de l’AS. Il est arrêté avec Jean Moulin à Caluire le 21 juin 1943. Emprisonné, interrogé par Barbie, il réussira à s’évader grâce à l’opération montée par sa femme.
À la veille de son départ pour Londres, il apprend l’arrestation de ses parents, puis leur déportation à Auschwitz, d’où ils ne reviendront pas.

De 1944 à 1945, il est, comme il l’écrit dans « les allées du pouvoir ».
En février 1944, il représente à Alger Libération Sud. Il est frappé par le fait que nul n’évoquait alors la question coloniale.
Du 15 août 1944 (date du débarquement en Provence) à janvier 1945, il assure, à la demande du général de Gaulle, la fonction de commissaire de la République, où il est confronté aux difficultés du ravitaillement, à l’épuration, aux réquisitions d’entreprises. C’est ce dernier dossier, extrêmement sensible, qui est à l’origine de son remplacement en janvier 1945. C’est à Marseille aussi, qu’il est, pour la première fois, en contact avec des travailleurs indochinois, notamment des Vietnamiens 4.
De retour à Paris, il finit par accepter de travailler pour le ministère de la reconstruction où on lui confie la responsabilité des activités de déminage, facilitées à partir de juillet 1945 par la transmission par l’Armée Rouge, des documents trouvés au grand quartier général de la Wehrmacht : les plans des champs de mines posés en France pendant l’Occupation. Il faudra toutefois attendre la fin de 1947 pour considérer le déminage comme achevé (13 millions de mines recensées).
Cette période est aussi marquée pour les Aubrac par leur rencontre avec Hô Chi Minh, invité par le gouvernement français en marge des négociations de son pays, à Fontainebleau.
Très rapidement R. Aubrac sympathise avec Hô Chi Minh auquel il a été présenté lors de la réception organisée par le gouvernement au moment de l’arrivée de ce dernier à Paris en juillet 1946. Invité chez les Aubrac, à côté d’Enghien, il finit par s’installer chez eux, le temps de son séjour en France jusqu’à la mi-septembre 1946. Il devient le parrain de leur 3ème enfant, née durant cette période.
De 1948 à 1958, R. Aubrac reprend son métier d’ingénieur. Il fonde un bureau d’études, BERIM (Bureau d’Etudes et de Recherches pour l’Industrie Moderne) qui contribue à la reconstruction en France et en Europe ; il intervient beaucoup dans les démocraties populaires, puis en Chine. A Prague, il travaille avec Arthur London alors vice-ministre des Affaires étrangères. Il supervise les premiers contrats commerciaux passés entre la France et la République Populaire de Chine.
Ses liens avec l’Asie expliquent que Pierre Mendès France lui demande d’être présent à la conférence de Genève. En juillet 1955, il se rend à Hanoï, à la demande d’Hô Chi Minh, pour s’occuper de renouer des relations commerciales avec la France.
Compagnon de route du PC, il prend ses distances avec ce dernier après les procès de Prague.
1958 à 1963 : nouvelle aventure au Maroc, où il avait fait plusieurs voyages comme intermédiaire commercial entre le Maroc et la Chine. Il est recruté comme conseiller technique auprès du ministère de l’économie du Maroc. Il travaille, entre autres, au développement des cultures irriguées ; il est, avec Mohamed Tahiri, à l’origine de la création de l’ONI, Office National des irrigations. Il s’occupe aussi du développement de la culture de betteraves à sucre, soucieux de limiter un peu la dépendance du Maroc, très grand consommateur de sucre. Dans le cadre de ces activités, il rencontre René Dumont, venu à la demande de Mohamed Tahiri, directeur de l’ONI, par ailleurs un de ses anciens élèves 5.
À partir de 1963, il entame une carrière de fonctionnaire international, à Rome auprès de la FAO. Il y restera jusqu’en 1975. En 1964, il se fixe pour objectif de mettre en place un programme visant à maîtriser la considérable documentation technique de la FAO ; dès 1965, c’est la seule agence des Nations Unies qui contrôlait complètement sa production documentaire. Dans le cadre de ce projet, il noue une amitié solide avec l’historien Philippe Ariès, pionnier de la documentation moderne en agriculture. Avec lui, il contribue à la création du réseau international AGRIS 6. (P. Ariès qui ne pratiquait pas l’Anglais, échangeait avec le président du groupe d’experts, Sir Thomas Scrivenor, responsable aussi des Commonwealth Agricultural Bureaux, en latin !)
De 1967 à 1975, sa connaissance des États-Unis, ses liens personnels avec Hô Chi Minh et ses fonctions internationales l’amènent à jouer un rôle d’intermédiaire dans les questions vietnamiennes.
Tout commence en juin 1967 quand il est contacté à Rome par d’Astier qui le met en contact avec le comité exécutif de Pugwash 7. À l’origine de cette initiative, il y a une démarche d’Henry Kissinger (alors consultant du département d’État) au nom du gouvernement Johnson ; l’objectif des Américains est, sans pour autant renoncer à la guerre, de rechercher une ouverture pouvant permettre, à terme, d’engager des négociations avec le Nord Vietnam. Le mouvement Pugwash demande à R. Aubrac ainsi qu’à Herbert Marcovitch, microbiologiste, d’établir des contacts avec Hô Chi Minh. Ils le rencontreront, à Hanoï, en juillet 1967.
R. Aubrac est à nouveau sollicité par Henry Kissinger en décembre 1968 alors que ce dernier a été nommé Conseiller par le président Nixon, nouvellement élu. Parallèlement aux contacts pris avec les Vietnamiens, il participe, au nom des Nations Unies, à l’étude d’un projet d’aménagement du Mékong.
En 1972, c’est le secrétaire général de l’ONU, Kurt Waldheim, qui, toujours sur le même dossier, fait appel à lui ; il l’accompagne lors de la conférence de Paris. Il est déçu par sa "timidité" et son engagement toujours sur la réserve... Au moment où les Américains, tout en négociant, intensifient leurs bombardements, ne réussissant pas à obtenir une intervention efficace de Kurt Waldheim, il se tourne vers le Saint-Siège et obtient, grâce à l’intervention du Pape Paul VI, une limitation des bombardements et, surtout, que les digues soient épargnées 8.
En 1975, à la fin du conflit, il rencontre R. McNamara, alors président de la Banque Mondiale, pour parler de la reconstruction du Vietnam. Fort de son expérience française de l’après-guerre, il obtient de lui qu’il fasse une démarche auprès du Pentagone pour obtenir l’envoi aux Vietnamiens des plans de l’emplacement des champs de mines ; il propose la médiation de la Présidence française.
Enfin, il s’emploie à faire des recherches pour que soit transférée au Vietnam la documentation technique accumulée par les Français durant la période de la colonisation.

Dans les années 80, il doit aussi se mobiliser, avec le soutien de ses camarades résistants, contre les calomnies de Barbie, relayées par son avocat Vergès, qui l’accuse d’être, avec Lucie, à l’origine de l’arrestation de Jean Moulin.

 

Résumé du livre de R. Aubrac Où la mémoire s’attarde

                                                               Joëlle Trichard

 

1 À l’automne 1941, Yvon Morandat récupère l’appartement des Aubrac, rue Pierre Corneille, à Lyon.    retour texte
2  Où la mémoire s’attarde , Poches Odile Jacob, p 85    retour texte
3 Pour ceux que cela intéresse voir le dernier livre de D. Cordier Alias Caracalla, sorti au printemps 2009.    retour texte
4 A la déclaration de guerre, en 1939, le gouvernement français avait fait venir plusieurs milliers de travailleurs d’Indochine pour remplacer des ouvriers français mobilisés. Après la défaite de 1940, ils avaient été regroupés dans des camps où ils avaient passé les années de l’Occupation. Un de ces camps, regroupait près de Marseille deux à trois mille hommes. Dans une situation critique, ils avaient fait appel au commissaire de la République.    retour texte
5 Lire pages 298 à 300 (très intéressant)    retour texte
6 En 1990, la base AGRIS comptait environ un million sept cent mille entrées et s’accroissait chaque année de plus de cent mille nouvelles. Elle est aujourd’hui une des principales bases de données sur l’agriculture mondiale.    retour texte
7 Depuis 1957, ce mouvement réunissait plusieurs fois l’an des scientifiques d’une trentaine de pays pour échanger leurs vues sur les problèmes au carrefour de la science, de la guerre et des armements ; chaque année aussi, une conférence générale était organisée, tantôt à l’Est, tantôt à l’Ouest.    retour texte
8 « Dans les premiers jours de janvier 1973, mes amis de Pugwash m’apprirent qu’ils tenaient d’un proche de Henry Kissinger que la seule intervention efficace sur Richard Nixon pour limiter les bombardements avait été celle du Pape » (page 388)    retour texte

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