LA DÉPORTATION COMPARÉE DES JUIFS ET DES RÉSISTANTS
Classe de philosophie – Professeur Olivier MARET
15 mars 1999

Par Pierre FIGUET et Alain BLANCY (pasteur protestant juif)

 

 

 
Baptisé enfant comme ses parents, Alain BLANCY vivait en Allemagne, où la symbiose entre les deux cultures lui paraissait très forte et très souhaitée.
À l’arrivée du nazisme, sa famille a dû fuir en France, dans la région de Pau, et triché sur leur identité en prétendant n’être que de père Juif.
Lorsqu’il fut refoulé d’Espagne, en 1942, et interné à Mérignac, il échappa de justesse , avec son frère, à la "déportation Papon", du seul fait de cette demi-judéité prétendue.
Mais: "Peu de chose sépare bourreau et victimes; si je n’avais pas été juif, je serais peut-être entré dans les Jeunesses Hitlériennes…"
Il a malgré tout pu poursuivre ses études et, après 1946, présenté une thèse de Philo (avec Paul RICŒUR), puis passer un an aux USA. Il est donc parfaitement bilingue, et pratiquement trilingue. Il a épousé une Suissesse.
Pourquoi est-il devenu pasteur?
"Si je survis, il faut que j’aie un but. Or j’étais dans un milieu chrétien; et, en France, j’ai rencontré des anges."
Mais qu ‘est-ce qu’on peut transmettre?
"Ma mémoire, c’est pour vous de l’Histoire. La souffrance d’autrui ne fait pas mal".
Comment rendre le passé fécond?
Il faut voir le CHRD à Lyon. Lors de l’inauguration, Elie WIESEL a dit:
"les Résistants sont des héros"
"Les Juifs sont des victimes, ils n’ont rien à exhiber"
"Les jeunes doivent savoir ce qui s’est passé, mais il ne faut pas insister pour éviter leur découragement"
"Je préfère compassion ou sympathie que pitié"
Ayant dû changer même son nom pour le franciser, Alain BLANCY a voulu partir à la recherche de son identité, et sa judéité prend une place plus grande.
Après avoir rappelé le contingent considérable de Juifs au Prix Nobel, il dit: "Hitler voulait mettre les Allemands à la place du "peuple élu", qu’il jalousait."
" "Deutschland über alles" a un caractère para-religieux."
Olivier MARET a rappelé que le racisme était né de la science au XVIIIème siècle.
J’ai moi-même précisé que je m’imposais un devoir d’optimisme, et que je "croyais" à la perfectibilité des hommes.

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THÈME:
1. Qu’est-ce qui rapproche et oppose la déportation des Juifs et celle des Résistants? En quoi cette déportation est-elle condamnable? ( crime de guerre ou crime contre l’Humanité )
2. Quelle valeur la mémoire historique peut-elle avoir pour l'action présente?


Vous n’attendez pas de moi un discours lénifiant. Je serai donc direct. Cependant, je vous en prie, n’isolez pas telle ou telle phrase du contexte de mon exposé.
Je dirai donc d’abord que dans notre pays, l’énorme médiatisation de la Shoah écrase, de façon largement excessive, les autres déportations, exécutions et autres méfaits criminels nazis.
Je partage bien entendu, et totalement, l’indignation générale, face au massacre organisé des populations: et le génocide juif est particulièrement odieux par son objectif même, accru par son ampleur et son caractère raciste, méthodique et industriel.
Cette indignation ne s’apaise pas, ni par le décompte plus précis des victimes, ni par la restitution des biens spoliés aux ayant-droits, ni par les punitions de quelques uns des bourreaux: elle reste ancrée dans le souvenir comme une tache indélébile.
J’approuve donc tout à fait que les Juifs survivants ou leurs descendants poursuivent leurs recherches des coupables, traquent ceux qui, sans vergogne, ont trafiqué avec les nazis (en particulier l’or et le produits stratégiques); et engagent tous leurs efforts pour faire la lumière sur l’émergence, puis l’engrenage, de la perversion fasciste.
Cependant, si les familles juives spoliées et décimées ont un droit absolu à réparation, si les familles totalement anéanties ont droit à notre recueillement, il est pourtant, dans cette affaire, un devoir encore plus imprescriptible, c’est celui de lutter contre le retour d’abominations de cet ordre.
Or, dans le même temps où des "innocents" (Juifs, Tziganes, Ukrainiens, etc …) étaient exterminés dans des camps ou au bord des fosses, des hommes (et des femmes), qui n’étaient souvent pas directement menacés, ont décidé de se battre, avec de faibles armes, pour les autres, pour leur pays; et d’y engager leurs vies.
Des milliers d’entre eux sont morts au combat inégal, ou ont été fusillés, souvent après d’horribles tortures. Plus de 100.000 sont morts dans les camps. Et parmi les quelques 15 % qui sont revenus vivants, un tiers est mort dans les 10 ans qui ont suivi, mortellement atteints dans leur âme comme dans leur corps. Parmi eux, il y avait des Juifs.
Ces hommes revendiquaient leur citoyenneté, ils affirmaient leur droit à la dignité, leur refus de la servilité et de la terreur.
La guerre terminée, ils ont approuvé les commémorations, les monuments, les discours en l’honneur de toutes les victimes, autant que de leurs frères de combat disparus. Et j’ai moi même été indiciblement ému, en février 1944, devant les empilements de chaussures d’enfants juifs polonais froidement exécutés au camp de Maïdanek, près de Lublin, en Pologne.
Mais à ce même moment mes propres parents, qui me croyaient mort, mort du fait de mon engagement dans la Résistance, vivaient le cauchemar de la disparition de leur fils de 20 ans à peine, mort pour que vivent les autres …
Aujourd’hui, la déportation des Juifs, la Shoah, occupe tellement le devant de la scène, qu’elle occulte le combat et la déportation des Résistants.
Quelque chiffres, pour faire le point:
En FRANCE
Total des Juifs déportés: 76.000 (dont 1/3 de Français)
Rescapés; 2.500, soit 3 %
Total des déportés français (Juifs compris à: 235.000)
Rescapés: 38.000
( dont 1/3 meurt dans les 10 ans )
Avec quelques exemples:
Buchenwald: 3.500 Français( Rescapés: 210 soit 6 % )
Ellrich: 1.500 Français (Rescapés:44)
En EUROPE
Total des morts Juifs: 5,7 Millions
Total des morts Russes: 20 Millions (dont 5 Millions de civils)
(et 3,3 millions de morts sur 5 ,7 Millions de prisonniers)
Total des morts Allemands: 5 Millions de morts (dont 2 millions de civils)
Total des morts Tsiganes 250.000 soit 1/3 de la population.
Un exemple local (Bellegarde et Gex)
Résistants morts au combat: 120
Assassinés et fusillés ( souvent torturés): 72
Déportés: 80
Disparus: 2
Total: 274
Ne pensez pas que je pourrais porter sur les Juifs un jugement quant à leur propre combat: dans les camps de Sobibor et de Treblinka, comme dans le ghetto de Varsovie, ils se sont battus jusqu’à la mort.
Mais je ne peux que regretter que les musées, les monuments, les médias, se fassent quasi uniquement l’écho du massacre du peuple juif alors que le rappel de la Résistance serait d’autant plus opportun que des extrémistes sont à la fois dans et hors nos murs, et que la moindre secousse, boursière ou autre, peut leur donner le pouvoir…
Car ce qui m’importe aujourd’hui, ce qui fait que je suis ici, devant vous, adolescents, ce n’est pas pour vous rappeler le dernier bilan des atrocités nazies ou le détail des exactions, car ça, les medias nous en abreuvent tellement qu’ils les banalisent.
Je suis ici pour vous dire que ces horreurs qui ont coûté la vie, la dignité et la souffrance à tant de personnes et de peuples, doivent être évitées à notre descendance. Et qu’il importe, y compris dans l’évocation de notre passé, de ne pas s’alanguir dans la lamentation, ni même dans la curiosité morbide (d’ailleurs toutes deux suspectes), mais de s’affermir dans la conduite à tenir, et de mettre en exergue les deux valeurs fondamentales pour l’avenir des hommes que sont la personnalité et la citoyenneté, constamment liées l’une à l’autre.
Notre combat d’aujourd’hui nous conduit à revisiter la Résistance d’hier, à réactiver en permanence notre liberté d’esprit et de perspicacité, et notre volonté d’action, indispensables au développement d’une société démocratique régénérée par des citoyens responsables.
Dans un monde devenu une "MARE NOSTRUM", les Juifs, Catholiques, Protestants, Musulmans, Athées et autres Agnostiques, présentent des sensibilités différentes et mutuellement enrichissantes. Mais elles sont parfois attisées par leurs intégrismes.
Je peux regretter personnellement, et dénoncer pèle mêle: les réticences du pape vis à vis du sexe, l’attitude d’Israël face aux Palestiniens, les fatwas ou exécutions publiques dans certains pays musulmans, tout autant que la culture du cannabis et les excès de la toute puissance financière …
Ce qui importe pour chacun de nous, c’est d’être et de rester attentif à ces moments où le processus de l’engrenage totalitaire tend à se mettre en route. Car le jour arrive où l’inertie de la mécanique nous entraîne tous. Ne dites pas plus: "les Juifs auraient dû se défendre", que "les soldats
allemands auraient dû déserter": la machine implacable était en marche: c’était trop tard.
La Shoah a été la conséquence d’un extrémisme déréglé. La Résistance a été le sursaut désespéré d’un peuple asservi, le dernier carré qui veut croire à une victoire improbable s’il reste seul, mais qui engage sa citoyenneté et sa dignité.
Si aujourd’hui l’ Histoire peut nous apporter un enseignement, c’est bien celui-ci: "n’attendez pas de devenir de victimes: soyez en permanence des citoyens, libres dans votre tête, les yeux ouverts sur le monde, prêts à vous engager.
Il y a des générations entières qui se croient vouées à la mélancolie d’une vie sans relief: c’est souvent à cette époque que naissent les prémices des heurs et malheurs à venir."

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