STRUTHOF 23 MARS 1996
Pierre FIGUET


Au petit matin de ce 23 mars: plein d’élèves du Lycée Lalande quittent en car le parking de la Vinaigrerie: ils vont faire du ski.
A peine plus tard, dans un autre "Philibert", 31 autres élèves , avec proviseur et professeurs, embarquent pour le "STRUTHOF": treize heures de car pour un camp de la mort …

Motivation!
Quelques "anciens", vieux anciens, les accompagnent, sans parler.

Pour mise en bouche, dès Lons-le-Saunier, les élèves proposent BREL, et BRASSENS. Et puis, vers Besançon: la "Liste de SCHINDLER", belle façon d’annoncer la couleur: le fric rédempteur face au nazisme vous fabrique « un juste » à partir de 1000 têtes.

A-na-ly-ser …

Heureusement, il est midi, et on se remonte le moral au pinard-saucisson. Ça va bien. Nous, on s’aime.

On repart, et on se croit presque arrivés. Mais on n’est qu’au pied de Sainte Odile. On monte, on tourne, et l’air devient plus dense: juste à gauche: c’est "la carrière", le chantier des détenus …

Et puis surgit la lame de pierre du mémorial.
Le STRUTHOF, l’irrespirable, : le voilà!
Un camp propret et vide, sous un soleil incertain.

C’est là, derrière ce double barbelé qui fut électrifié, que des encanaillés qui se croyaient des surhommes ont humilié, battu, brisé jusqu’à la mort des hommes fiers qui leur étaient livrés enchaînés. Image d’un pouvoir délirant où des imbéciles indignes imposent leur loi immonde et suicidaire pour toute l’Humanité. La honte .

Marius MARINET, le père de Jean, épuisé, usé en neuf semaines, a été là, porté, mort, par deux camarades, au retour de la carrière.
C‘est pour lui, encore plus que pour tout autre, que j’ai quelque allégresse à fouler, libre, ce sol qui a respiré tant de souffrance et tant de désespoir. Je marche sur ces chemins, ces escaliers, pour supplanter dans un temps devenu rédempteur, le pas des SS à la schlague. Pour dépasser leur carnage.

Le musée, incendié naguère par des nostalgiques obtus et frustrés , nous saoule de la misère, de l’horreur fomentée par des "hommes": des chiffres, des images, des ombres.

NUREMBERG n’a rien effacé, mais l’accusation a été portée. Nous restons les fils de NUREMBERG: qui voulons savoir, pour dénoncer le retour de la "bête" qui attaque les hommes par tous les bouts, et les ronge. Par tous les bouts: NUREMBERG ne l’a pas assez dit.

C’est là dessus que nous repartons par le "Philibert".
Assis.

Nous aurions voulu "péleriner" à la Carrière,  où les NN étaient cassés.

Mais ce n’est pas touristiquement accessible; et puis: la montagne commence à devenir violette … Il faut rentrer.

Alors, dans le car, nous parlons un peu. Par petits groupes. Mais la pudeur couvre les voix; il faut du temps pour digérer les coups au cœur.

On parle généralité, philosophie .. ordre et serment. On parle projet, on parle dialogue. Et puis, à l’arrivée, on se dit: " Allez ! salut ! A un de ces quatre. On se bigophone " Pourtant, on était bien , ensemble: les jeunes qui s’interrogent, ceux et celles qui ont le pouvoir de "dire", et les "anciens", qui pensent penser. On serait bien restés, mais l’usage, à 23 heures à la Vinaigrerie, c’est de rentrer chez soi.

Alors on s’est serré chaudement la pince, et on est montés dans nos carrosses.

 

Pierre FIGUET

PS: Cette rude journée a réchauffé les anciens.

D’abord parce que le contact des jeunes rajeunit, mais surtout parce que quelques mots ont mis en lignes des non-dits innombrables et pesants; et encore plus parce que nous allons effectivement écrire notre prochain dialogue. Vite, le plus vite possible!

Peut-être aurons-nous puisé au STRUTHOF la force de l’action quotidienne.