PARCOURS INDIVIDUEL


I / 1942


J’ai 16 ans le 5 juillet et suis interne en tant qu’élève-maître, au lycée Lalande de Bourg en Bresse.
Le 14 juillet, j’assiste à une "Marseillaise" au Monument aux Morts. Page et Damiens sont arrêtés et passés à tabac. Les lycéens se sont réveillés.
En septembre, Bouvet, élève-maître comme moi, me sollicite pour adhérer aux F.U.J. (apolitique) dont le but est de combattre les Allemands. Je deviens Luy, comme Bouvet est devenu Biscuit. Cet anonymat vise à préserver notre sécurité. Chaque FUJ ne doit connaître que son chef direct et bien sûr ceux qu’il recrute lui-même.
Ma première activité : distribuer des tracts dans les boîtes aux lettres de ma rue puis de mon quartier
La seconde : fonder une "sizaine" car je suis vite débordé. En plus de nos livraisons (la nuit malgré le couvre-feu) nous collons des affichettes et décorons de dessins patriotiques exécutés au goudron, quelques murs de la cité.
La troisième : creuser une cache sous les escaliers de la cave de la maison paternelle (épicerie de la rue G. Courteline) pour y cacher les journaux en instance (et plus tard les armes et explosifs).
Le 11 novembre, la ZONE LIBRE est occupée !!!
J’assiste à une réunion interdite au Monument aux Morts. La police nous bouscule un peu pour nous disperser.
Fin novembre, invité par je ne sais plus qui, je fais partie du groupe qui "caillasse" une section allemande se rendant au terrain de tir. Pas de riposte meurtrière de l’officier qui la commande (un sage !).
En décembre, Biscuit est chef de trentaine.
J’ai formé ma 2ème sizaine.
Les FUJ s’articulent ainsi :
1) Des "résistants de base" (RB), organisés en « sizaine » et « trentaine » (= regroupement de 5 sizaines)
2) Des "Groupes francs" (GF) pour des coups durs.

 

 

  
II / 1943


Je deviens chef de trentaine et manipule ma première mitraillette STEN Mark II et mon premier revolver WEBLEY, chez Paul Morin qui est mon "père normalien" et responsable départemental. Il y a là une faute contre le secret de notre action.

 


Paul Morin est arrêté, relâché, repris puis déporté.
Bouvet me présente à Gérard Sotton, "Philippe", notre nouveau grand chef départemental.
Je suis intercepté par une troupe allemande alors que je colle des tracts, en face de l’Eden Ciné… C’est le couvre-feu… L’Allemand qui est "ma première langue" me permets de me tirer d’affaire.
Février : Philippe me nomme "responsable – propagande diffusion" pour le secteur de Bourg et me loue une chambre à Bel-Air. Ainsi, mes parents ne seront plus menacés directement.Je m’adjoins deux agents de liaison : Melles Neyraud et Dubois.

 


 

Mars : je participe à mon premier parachutage.


UN PARACHUTAGE
C’est organisé par nos chefs avec la collaboration d’André qui assure les contacts avec l’I.S.
Des caches doivent être préparées à l’avance.
Un gazogène (dont la mise en route est longue et compliquée) est chargé du convoyage.
Une équipe de 6 à 8 hommes (avec le seul pistolet de Niogret jusqu’à ce que des armes soient venues du ciel) assure :
l’éclairage de la piste grâce à des gooses-necks d’occasion (arrosoirs)
le ramassage des containers lorsqu’ils les trouvent… ou leur repêchage au fond d’un étang…
le transport jusqu’au camion, grâce, car les armes sont lourdes, aux brancards fabriqués par Pat.
Un éclaireur cycliste nous précède de loin avec pour mission de nous avertir en cas de danger.

Au lycée nous tentons de rester calmes le plus possible tout en ménageant quelques soupapes de sécurité comme la bataille des effigies pour remplacer les portraits de Pétain par ceux du Général de Gaulle.
Des "essaims", comme disait Philippe, sont créés par des émissaires, dans les collèges et lycées du département. Marinet donne l’exemple.
Ainsi les F.U.J. apparaissent-ils à Oyonnax, Nantua, Belley…
Nous recrutons aussi hors des lycées afin de réunir le plus possible de compétences diverses et pouvoir faire face à toutes les missions prévisibles : boulanger (Baillet), chauffeurs (Nicolas…), garagistes, charcutier ou boucher (Fremion…), menuisier ou charpentier…

 

III / 1944

 L’instruction militaire est assurée au mieux au cours de brefs stages au Maquis, par les chefs de section qui sont tous d’anciens sous-officiers.
Par prudence, les candidats arrivent à vélo, au compte-goutte.
Bouvet dans sa grange et moi dans ma cave, recevons un à un quelques garçons qui ne peuvent pas se déplacer et les familiarisons avec les armes dont ils disposeront bientôt.


VIVRE AU MAQUIS
Les problèmes sont nombreux et grands les dangers.
En juillet, notre chef national ainsi que 10 membres de son bureau sont fusillés.

Il faut :
Loger les hommes : fermes abandonnées, granges, tentes de camping, abris de branchages…Jamais plus d’une semaine au même endroit ; jamais plus de 12 hommes ; jamais à moins de 2 ou 3 Km du prochain groupe.
Surveiller les passages ou intrusions éventuelles d’Allemands ou miliciens, lors de discrètes patrouilles à pied ou à vélo et en établissant des rapports avec des postiers, commerçants, paysans, acquis à notre cause.
Manger.
1) En recourant à :
la "mendicité" auprès de cultivateurs, éleveurs, commerçants…
des coups de mains sur les mairies à l’occasion de la distribution des tickets d’alimentation.
des achats payés avec des bons assurant un "remboursement après la victoire"… auxquels beaucoup auraient préféré des billets de banque… d’où l’attaque de la Trésorerie Générale.
2) En bénéficiant :
de cadeaux parfois royaux… une vache, une meule entière de gruyère… 2 sacs de 50kg de pommes de terre.
des parachutages allez-vous dire ! Aucun n’a jamais contenu la moindre ration de combat !!
Nous avions faim et nous transformions en lévriers efflanqués.
Soigner : hélas, ni médecin, ni infirmière à la 5ème Cie F.U.J. Seuls quelques garçons comme moi (Brigadier Z) avaient bénéficié de sommaires cours de secourisme. Pour les cas sérieux, il fallait parfois dénicher en urgence, le praticien bienveillant et pas trop craintif. Nous en avons heureusement trouvé un chaque fois.
Habiller : chacun garde sur le dos ce qu’il portait à l’arrivée.
Le seul uniforme est le brassard F.U.J. à croix de Lorraine, réalisé par ma tante Badoux.

 



REMPLIR NOTRE MISSION
Début 44, Philippe me nomme commandant en second de la 5ème Cie F.U.J. et chef des commandos.

A/ Les actions "militaires" sont réalisées à l’initiation des commandants de compagnies et pour les plus importantes, aux ordres du commandant Romans-Petit, patron des Maquis de l’Ain et du Haut Jura, qui nous répétait sans cesse :
n’oubliez jamais que nous ne sommes pas en guerre contre les Français, sauf cas de légitime défense.
Ne vous prenez pas pour de vrais guerriers. Contentez-vous d’actions brèves avec retraite rapide assurée.
Rendez compte.
Attaque de la régie des tramways de l’Ain qui nous procure des véhicules et du carburant.
Attaque de
convois routiers allemands
ponts et lignes de chemin de fer
troupes à pieds en déplacement
transports de carburant (citernes)
Abattage d’arbre en travers des routes.
Confiscation de véhicules appartenant à des miliciens et plus souvent à des collaborateurs.


Attaque de la Trésorerie Générale de Bourg (05/06/44) qui devait être couplée avec l’exécution d’un officier supérieur germain.

Voir synthèse de Jean Marinet sur le même sujet

 


Rencontres et accrochages défensifs sérieux :
au barrage de Thiou (19/06)

 

 

 

 

 

 

 

 


au col de la Lèbe (25/06)

 

 


aux carrières d’Hauteville (12/07)
Attaque victorieuse d’un train blindé à Argis près de Tenay (07/07).

Défense de Méximieux (31/08 -> 01/09) en coopération avec d’autres compagnies (Clin, Giraud…).
Pour la 1ère fois, les ordres sont de TENIR À TOUT PRIX !

 

B/ Les actions de "police"
Enquêtes sur les menées des collaborateurs qui n’étaient pas tous "bons à pendre". L’un d’eux m’a sauvé la vie.
Arrestation et exécution des dénonciateurs
Le tribunal est constitué du commandant de Cie et des chefs de section – aucun avocat n’est prévu – le suspect assure sa propre défense…
Le peloton d’exécution se compose de 9 hommes désignés. L’un est doté, au hasard, d’un fusil chargé à blanc. Ainsi, un cœur sensible peut penser qu’il n’a pas été un acteur actif.
Enterrement immédiat, sur place.
Libération d’amis détenus (Baillet).

 

IV / SENS ET VALEUR DE NOTRE ACTION

Notre but était la défense :
de l’honneur de la France
de la Liberté
Dans l’immédiat et dans le futur.
Nous étions essentiellement des volontaires qui, étant donné leur jeune âge, n’étaient poussés :
ni par la crainte d’être incorporés dans les "camps de jeunesse" ou "l’armée de l’armistice"
ni par celle d’être expédiés en Allemagne au titre de la "relève des prisonniers" ou du S.T.O.
mais étaient prêts à se battre et à donner leur vie pour la seule victoire de leur idéal.
Rappelons les paroles de J. Chatagner en septembre 44 :
"quand … on lui dira (au maquisard) : mais vous étiez au Maquis. Qu’y avez-vous fait ?
Il répondra :
"Mon devoir"

 

APRÈS LA LIBÉRATION DE BOURG-EN-BRESSE
Nombreux sont mes amis qui se sont engagés dans les F.F.L., la division alpine… afin de continuer le combat jusqu’à l’écrasement final du Reich.
Je les admire, les félicite, et parfois pleure ceux qui sont tombés (Alex, Clerc, Guyon, Valentin, Girard…).
Moi j’ai repris assez vite mes études ; Fac de Sciences puis de Médecine…

 

À CE JOUR
Survivent quelques vieux Résistants dont la moyenne d’âge doit avoisiner les 90 ans et qui ont bien raison d’être fiers d’arborer la "Médaille" conférée à ceux qui ont pris une part active à la lutte contre l’armée allemande.

 

Gilbert GUILLAND - Août 2007