HISTOIRE D'UNE PHOTO
Georges MARTIN

 

Wagons enchevêtrés, suite à un sabotage réalisé par les maquisards le 5 juillet 1944
Un chaos de wagons de marchandises surmonté d'une voiture de voyageurs pointant vers le ciel... ce cliché spectaculaire a illustré maints ouvrages consacres à la Résistance dans l'Ain.

 

Voici son histoire.
Début juillet 1944, les cheminots résistants restés sur place informent notre groupe Brucher basé à Corlier de la présence au triage d'Ambérieu d'un wagon plein de paquets de tabac et de cigarettes destiné aux troupes allemandes.
Rendez-vous est pris pour le 5 juillet après-midi.
Les camions quittent Corlier, direction Torcieu, où ils se mettent en place de part et d'autre du passage à niveau dit du Pont Martin (aujourd'hui supprimé) sur la petite route conduisant à Bettant. Parallèlement les équipes de protection prennent position sur la nationale 504 proche pour parer à toute mauvaise surprise de ce côté là. (L'une d'elles aura un accrochage avec un camion d'Allemands qui fera demi-tour rapidement).
Georges BUTTARD ("La Butte") rejoint à pied la rame de quelques wagons conduite par Granju, un mécanicien de manœuvre et résistant membre de notre groupe, resté "en bas", qui a stoppé un peu au delà du Poste 4, lequel commande les aiguillages en amont du vaste réseau de triage. Ostensiblement il l'arraisonne.
A petite vitesse, la rame remonte en direction de Torcieu et s'arrête afin que le wagon distingué soit bien positionné au passage à niveau. Les camions reculent de part et d'autre, les portes sont ouvertes et le transbordement des cartons s'effectue rapidement dans une ambiance de franche rigolade.
Qui a pris l'initiative de la suite des opérations? Personne ne s'en souvient.
"Bidaut" pose une charge de plastic dans le "coucou" (nom familier donne par les cheminots à leurs petites locomotives de manœuvre). " La Butte" met la pression de la vapeur à fond, enclenche la marche arrière, desserre le frein et saute.
Granju et son co-équipier: "Faites pas les c... Attachez-nous pour nous couvrir". On parvient à trouver quelques morceaux de ficelle. On les attache chacun dos à un poteau que les bras tirés en arrière enserrent. (Ils ne seront pas inquiétés, ayant été "agressés et neutralisés contre leur volonté").
Pendant ce temps la rame refoule à toute vapeur. La voyant arriver à pleine vitesse - et n'étant pas dans le coup - l'aiguilleur du Poste 4 la dirige sur la voie N° 20 où elle percute avec une violence inouïe les wagons à l'arrêt le long du quai marchandises. L'amoncellement est impressionnant... et d'un coup la charge de plastic explose.
Dans les rapports de la SNCF de l'époque, le bilan est laconique: 5 juillet, vers 18h15: 1 locomotive de manœuvre et 9 wagons détruits, les voies de triage 18 à 22 obstruées...Parallèlement les fils téléphoniques du Poste H (le poste du Chef de manœuvre principal contigu à la gare de voyageurs) sabotés (pour interdire toute alerte de la part du Poste 4).
Si l'aiguilleur n'avait pas réagi comme il le fit la rame folle aurait traversé en trombe la gare de voyageurs et nul ne sait jusqu'où elle aurait pu aller - ou dérailler - en direction de Lyon.
Sur le chemin du retour, les maquisards distribuèrent généreusement des cartons de tabac en traversant Torcieu, Saint-Rambert, Argis, Tenay.
Je ne vous raconte pas la fête que ce fut lors de leur arrivée à Corlier.


Georges MARTIN

 

Nota : Pour prendre la mesure de l’activité de la Résistance: les rapports SNCF de l'époque notent: le 5 juillet, 5 sabotages sur les voies ferrées dans l’Ain, et 6 le 6 juillet. Le Plan vert était bien appliqué.

 

Le groupe de Gaston Brucher (croix) pour des retrouvailles en 1969, certains ne s'étaient pas revus depuis la libération