COMPTE-RENDU DE VISITE
DACHAU, 2 MAI 2003


Quatre journées d’un voyage intéressant à l’occasion de l’inauguration de la nouvelle exposition de Dachau, à laquelle j’avais été invité par internet.

 

Mercredi 30 avril
Nous avons traversé la Suisse par autoroute pour atteindre le Bodensee (lac de Constance), près duquel habite notre petite fille Mélanie et sa petite famille (deux enfants). Elle est fixée en Allemagne depuis 8 ans et connaît parfaitement la langue; elle fut une interprète efficace.

 

Jeudi 1er mai
Nous sommes partis au cours de l’après-midi en direction de Munich, en emmenant notre petite fille Mélanie. Dîner et coucher dans une banlieue ouest de Munich, près de Dachau.

 

Histoire succincte du camp de concentration de Dachau
Le 22 mars 1933, moins de deux mois après l’accession d’ Adolf Hitler au pouvoir, le camp de Dachau fut érigé pour les prisonniers politiques. Donc ce fut le premier camp et il servit de modèle à tous les autres. Il fut une "école de la violence" où d’abord les S.S. en prirent le goût, disent les Bavarois. À Dachau les S.S. prirent tout de suite en main la direction du KZ, et organisèrent la répression et le crime. 200.000 personnes originaires de toute l’Europe furent incarcérées à Dachau et dans les Kommandos extérieurs. Plus de 43.000 détenus y trouvèrent la mort, soit de maladie ou de consomption, soit par exécution ou pendaison.
Le camp fut libéré le dimanche 29 avril 1945, par la 42ème division d’infanterie américaine du général Linden.

 

Vendredi 2 mai : inauguration de l’exposition, visite
Nous étions présents à 9h30 au KZ de Dachau, ainsi intitulé par les Allemands (autrement dit le Konzentrationslager), où eut lieu dès 10 h l’inauguration de l’exposition organisée par le gouvernement bavarois, à laquelle j’étais convié (par un organisateur, le Dr Eiber, sans avoir reçu cependant une invitation officielle). Nous fûmes fort bien accueillis aussi bien par le Dr Eiber que par les autres organisateurs.

 

Le KZ
On pénètre actuellement dans le site, non pas par l’ancienne entrée ouest du camp, appelée "Jourhaus " où figurait la fameuse inscription "Arbeit macht frei ", mais par celle pratiquée ultérieurement à l’Est. On est frappé par l’immensité de la "place d’Appel", où, matin et soir, les détenus devaient se mettre en rangs et rester immobiles pendant plusieurs heures. La place d’appel est limitée au Sud par un grand bâtiment, le bâtiment des communs, où se trouvaient les cuisines, les réserves de vêtements, les ateliers et salle de douche. On apprend que sur le toit était écrit, en allemand, en grosses lettres une phrase, ainsi traduite : "Il existe un chemin vers la liberté. Il passe par l’obéissance, l’honnêteté, la propreté, la sobriété, le zèle, l’ordre, le sens du sacrifice, la sincérité, l’amour de la patrie". Devant ce grand bâtiment, fut érigé en 1968 le monument international (œuvre de Nandor Glid), en fer forgé, qui représente allégoriquement des détenus morts accrochés aux fils de fer électrifiés. En dessous, en grosses lettres, et en plusieurs langues européennes : "Plus jamais".
Derrière le bâtiment était la prison, appelée pudiquement "Bunker", lieu de terreur. Dans sa cour étaient pratiquées les sanctions : suspension à un poteau, fouet, ou... exécution.
Le camp de détention, en lui-même, se situe sur le côté nord de la place d’Appel . Une voie centrale bordée de peupliers, plantés par les détenus, séparait deux rangées de dix-huit baraques chacune, appelées Blocks, dont il ne reste que les fondations. Nous parlerons ultérieurement du Krematorium.

 

La cérémonie, les discours
En plein air, sur l’immense ancienne place d’Appel, furent prononcés les discours, avec intermèdes musicaux par un orchestre de jeunes, devant une assistance d’invités, officiels, anciens déportés de toutes nationalités européennes. La cérémonie était présidée par le Ministre-Président Edmund Stoiber, président de la Bavière, du Land bavarois. Les discours, la plupart en Allemand, étaient intéressants. Je pus profiter de la traduction simultanée des principaux extraits que m’assura Mélanie, ma petite fille. Madame le Docteur Barbara Distel, conservateur du site du KZ de Dachau, insista pour faire comprendre que Dachau, par la multiplicité de ses populations européennes fut et reste un des symboles de la nouvelle Europe qui s’est construite, là, dans la souffrance et le sang.
Le Président du Land de Bavière et d’autres orateurs ciblèrent l’importance de la cérémonie sur le 70° anniversaire du KZ de Dachau, créé le 22 Mars 1933, deux mois seulement après l’accession d’Adolf Hitler à la Chancellerie du III° Reich. Dachau fut d’abord peuplé d’opposants allemands au régime nazi. Le Président expliqua fort bien, et y insista, comment le peuple allemand fut amené à entériner toute la politique répressive de l'État nazi. Certes l’Allemand savait que la sanction apparaissait inéluctablement dès que la contestation s’exprimait d’une façon ou d’une autre, même s’il ignorait ce qu’était vraiment un Konzentrationslager. Mais il faut comprendre que chez l’Allemand des années 31 à 45, sur un fond inné d’obéissance et de patriotisme, l’inculcation de principes nazis, par la propagande et l’enseignement fut essentielle,
Par la Propagande, extrêmement habile et très largement diffusée (Goebbels).
Par l’Enseignement dès la plus jeune enfance et à tous les âges, à tous les niveaux sociaux, [l’instituteur, le professeur étaient très surveillés] .
La propagande et l’enseignement étaient incorporés à tous, notamment par l’intermédiaire de l’acquisition des connaissances culturelles et artistiques. L’Allemand moyen, ignorant d’ailleurs les exactions des S.S., était convaincu que le régime hitlérien était le meilleur, qu’il devait accepter les principes antidémocratiques prônés par les chefs nazis et devait leur obéir, pour la Grande Allemagne, pour la patrie. Ainsi l’Allemand [moyen] était convaincu que ceux qui avaient manifesté leur opposition au régime étaient des traîtres à la patrie, et que le KZ constituait une juste sanction, même s’il en ignorait totalement l’horreur...
Les orateurs allemands, et notamment le Président Stoiber, insistèrent sur deux points importants .
La vigilance: les événements qui se produisirent en 1933, peuvent réapparaître.
L’importance de la Jeunesse. La visite du KZ de Dachau est ouverte aux jeunes. Elle doit leur être facilitée, et expliquée. [Effectivement, beaucoup de jeunes Allemands visitent le site].
Le Président du C.I.D. (Comité International de Dachau), le général français (C.R.) André Delpech, fit un court exposé en langue française, qui fut traduit, alinéa par alinéa, par Madame Distel dont la connaissance de notre langue est parfaite.

 

La visite de l’exposition
L’exposition est importante dans son étendue, dans sa conception. Cependant, selon l’avis des déportés français avec lesquels j’eus des entretiens au cours du repas et dans l’après-midi, elle ne donne pas assez l’atmosphère du camp de Dachau qu’ils ont connue. D’après eux, les jeunes qui visitent seulement l’exposition, sans guide, ne peuvent pas assez se douter de la vie horrible du camp, s’ils ne sont pas guidés et éclairés. Quant à moi les explications des lieux par les textes apposés aux photos me semblent valables. Seules les photos du camp ne sont pas toutes explicites. A part celles des amoncellements de cadavres, des corps amaigris, photos pratiquées surtout par les Américains lors de la libération du camp, le 29 avril 45, trop peu de photos montrent la détresse, l’émaciation, le dépérissement extrême des détenus.
Sur un grand panneau, intitulé : "Les victimes étrangères", françaises, une grande photo du Général Delestraint en tenue domine toutes les autres présentées sur ce panneau. Bien moins grandes, les trois photos anthropométriques. Une photo réduite d’Edmond Michelet. Il faut avoir le réflexe de passer de l’autre côté du panneau, pour pouvoir lire, en Allemand, la légende des photos, qui sont reproduites là, d’ailleurs en plus petit format. Je fus déçu de ne trouver aucune iconographie, aucun texte, concernant Bob Sheppard.

 

Les contacts
J’ai bénéficié de nombreux contacts, avec d’anciens déportés, français, tant au cours du déjeuner. [Il se tint dans la grande salle du château de Dachau, non pas autour d’une table, ni autour d’un buffet, mais par l’entremise de nombreux serveurs qui apportaient sans cesse aux convives mets et boissons, surtout de la bière !].
Grâce à cette disposition, je pus entrer en rapport avec de nombreuses personnes. Monsieur Dominique Samuel, ancien déporté, un des très rares israélites du KZ de Dachau. [en effet, Dachau n’était pas un camp d’extermination des juifs, la chambre à gaz ne fonctionna jamais]. Mr Samuel, un Israélite français très distingué, membre du C.I.D., avait rencontré le général Delestraint, sans jamais avoir eu de contact précis, et connaît l’histoire du "Häfling " (du détenu ) général Delestraint, et notamment l’épisode de " l’appel ". Il vint me parler ; son attention avait été attirée par le fait que, placé derrière moi lors des discours, il entendit les traductions de ma petite fille, Mélanie, traductions dont il profita...
Un autre ancien déporté vint me trouver, lorsqu’on attendait les cars qui devaient nous ramener du château au KZ; le général de Lauzières (C.R.), qui, bien entendu, n’était pas général en 1945. Il vint me parler du général Delestraint. Il avait entendu dire au cours du repas que l’ancien secrétaire du général Delestraint était présent. Lui aussi me dit son regret que le Général ait révélé son identité et ses fonctions dans la Résistance française, au cours de l’appel au camp, début avril 45.
En revenant au camp, je tins à rencontrer madame le Conservateur du site de Dachau. Elle était à son bureau, me reçut très aimablement. Nous évoquâmes la vie du Général au camp devant deux anciens détenus français, avec lesquels elle était en conversation, qui, eux aussi, ont conservé un très grand respect pour le nom du général Delestraint. Je remis alors à Madame Barbara Distel un exemplaire de mon livre que j’avais apporté. Ce livre est destiné, m’a-t-elle informé, à la bibliothèque du KZ de Dachau.

 

La visite du camp
En sortant de là, je me rendis au R.V. que m’avait donné le Dr Eiber. Il m’emmena, avec Mélanie, faire une visite rapide du camp. Les blocks n’existent plus ; on en situe les emplacements par les fondations en béton qui subsistent. On aperçut l’ancien "bordel", transformé en "Ehrenbunker" [Bunker d’honneur], où les détenus présentant une certaine importance furent transférés, tel l’évêque de Clermont-Ferrand (Mgr Piguet), le pasteur Niemöller ; le général Delestraint y fut transféré au début d’avril 45.
Mais surtout le Dr Eiber nous emmena au Krematorium, hors du camp, entouré alors d’un mur. On y accédait alors par une porte, aujourd’hui condamnée mais qui existe toujours. Grâce aux archives allemandes du procès du S.S. Stiller, on connaît parfaitement les dépositions des différents détenus faisant partie du Kommando du Krematorium et celle de son "Kapo", Emil Mahl. Eux, les seuls, furent les témoins visuels de l’assassinat du Général. Nous connaissons le parcours qu’il fit, le 19 avril 1945, vers 11 h. du matin. Nous l’avons suivi en partie. Delestraint était accompagné du S.S. Obersturmführer/Lieutenant Ruppert, jusqu'à l’entrée du site du Krematorium, par cette porte que j’ai photographiée. Dans le site du Krematorium. J’ai photographié l’ancien crématoire, où se cachait le S.S. Oberscharführer/Adjudant Bongartz (une bête-criminelle). Celui-ci suivit le Général sans attirer son attention, avant de l’abattre d’une balle dans la nuque . J’ai photographié l’endroit où le Général est tombé. Il tomba la face contre terre. En fait, il vivait encore... Il fut transporté par les détenus du Kommando jusqu'à la salle du "nouveau" crématoire. Ces derniers prévinrent Bongartz que le "häftling" n’était pas mort. Bongartz l’acheva de deux balles. Il lui retira, avec Ruppert, sa montre, son alliance, ses dents en or. Sur l’ordre de Ruppert et des autres chefs S.S., le corps fut incinéré avec les vêtements que les S.S. lui avaient remis dans la matinée, ce qui était exceptionnel.
Cette relation des faits est véridique. Les témoignages des détenus alors présents concordent. Elle est effectivement différente de celles qui ont été rapportées jusque là, et notamment par les témoignages des détenus qui étaient dans le camp et n’appartenaient pas au Kommando du Krematorium, qui n’étaient donc pas présents. Ces témoignages étaient alors les seuls connus; je m’en étais servi pour ma thèse et mon livre.
J’ai pratiqué des photos sur place.
Après la visite du crématoire (nouveau), le Dr Eiber nous conduisit aux différents lieux d’exécution, où des plaques de mémoire ont été apposées. Un petit monument commémoratif juif existe, bien que peu d’entre eux aient été exécutés là.
La visite du KZ de Dachau se termine là. A mon sens, cette journée fut chargée d’enseignements. Certes, la visite des lieux est importante. Elle fut souvent émouvante. La teneur des discours nous fait apparaître que l’Allemagne d’aujourd’hui, profondément différente de celle d’il y a soixante années, comprend et a compris que les Allemands et particulièrement la jeunesse doivent posséder un esprit critique. Ils l’ont d’ailleurs acquis. Ils savent que l’obéissance "aveugle" peut être grave de conséquences. Savoir dire Non, lorsque la liberté de penser et d’expression est menacée. Lorsque la Liberté, si fragile, est en jeu.


                                                                                  F.Y GUILLIN